49- KELIBA Amadou Kassimou
Mardi 23 novembre 2021 : Mort en détention d’un 7e prisonnier politique : KELIBA Amadou Kassimou, arbitrairement arrêté dans la rocambolesque Affaire « Tigre Révolution »
C’est avec tristesse, colère et indignation que, dans la matinée de ce mardi 23 novembre 2021, le Comité pour la libération de tous les prisonniers politiques du Togo a appris le décès du prisonnier politique KELIBA Amadou Kassimou, détenu au Cabanon du CHU-Tokoin où il est hospitalisé depuis le 3 octobre dernier.
Né le 19 avril 1975, maçon, marié et père de 2 enfants, KELIBA Amadou Kassimou a été arbitrairement arrêté dans l’Affaire « Tigre Révolution » au quartier Agoè-Zongo dans la grande banlieue Nord de Lomé, le 6 décembre 2019.
Ayant pris connaissance de la triste nouvelle de sa disparition, le Comité pour la libération de tous les prisonniers politiques du Togo tient d’abord à condamner et à dénoncer avec la plus grande vigueur sa détention arbitraire ainsi que les tortures et autres traitements cruels, inhumains et dégradants qui lui ont été infligés tout au long de sa détention.
Tout en présentant ses sincères condoléances à sa veuve, à ses deux enfants orphelins ainsi qu’à toute sa famille éplorée, le Comité, soucieux de mettre fin à l’impunité de tels crimes politiques, exige que tous ceux qui, dans la chaîne de responsabilités, ont eu à procéder à l’arrestation de cet innocent citoyen et à décider de sa torture ainsi que de son maintien en détention en toute illégalité, soient recherchés, identifiés et poursuivis.
C’est au lieu-dit « Sous-pont » encore communément appelé « Echangeur », que KELIBA Amadou Kassimou s’est fait arrêter alors que, ne trouvant alors pas de travail sur un chantier pour exercer son métier de maçon, il s’était fait portefaix pour gagner quelques sous afin de nourrir sa petite famille et était en train de décharger des sacs de charbon à la Gare routière du Sous-pont lorsque des policiers du Camp GIPN d’Agoè-Logopé qui faisaient une rafle dans le secteur ce jour-là, se sont jetés sur lui pour l’arrêter, sans qu’il n’ait rien fait.
C’est ainsi que KELIBA Amadou Kassimou a été arbitrairement arrêté et conduit au Camp GIPN d’Agoè-Logopé, tout comme BOUKARI Gawilou, ce chauffeur de taxi qui a été conduit au même Camp et reste toujours emprisonné jusqu’à ce jour, après avoir été arrêté au même endroit, le même jour et en plein après-midi, aux environs de 16H, alors qu’exerçant son métier, il s’apprête à rejoindre des clients qui viennent de l’appeler pour une course et qu’aucun incident n’est à signaler aux alentours.
Tout comme également KERIME Gafarou, cet autre conducteur de taxi-moto dit zémidjan qui, lui aussi, a été arrêté quelques jours seulement auparavant, le 29 novembre 2019, pour n’avoir strictement rien fait, alors que, fatigué par son travail, il faisait une pause, couché sur sa moto à l’ombre d’un arbre, à une centaine de mètres du Commissariat d’Agoè, en pleine matinée, aux alentours de 11H. Enlevé par cinq personnes en civil lourdement armés, il est conduit au Camp GIPN d’Agoè-Logopé où on n’a cessé de le torturer sauvagement en l’accusant faussement de crimes qu’il n’a jamais commis, le faisant entrer dans le calvaire d’un emprisonnement arbitraire qui dure depuis deux ans à ce jour.
Après son arrestation par les policiers du Camp GIPN d’Agoè-Logopé, il est enlevé et embarqué dans leur véhicule où, encore sous le choc, il cherche à savoir ce qu’il a fait. Il se voit alors répondre par les agents qu’il n’est pas question qu’on lui dise quoi que ce soit mais qu’il n’a seulement qu’à les conduire à son domicile et il s’exécute.
Arrivés dans sa maison, les agents lui disent qu’ils sont « à la recherche des armes ».
Etonné, il leur demande : « De quelles armes parlez-vous ? » et se voit répondre qu’il s’agit de celles qui ont été arrachées des mains des soldats lors d’une manifestation non déclarée qui a eu lieu dans la nuit du 22 au 23 novembre 2019.
Après qu’il ait répondu qu’il ne sait rien de tout cela, les policiers procèdent à une fouille générale de toute sa maison jusqu’à sa chambre sans rien trouver qui ressemble de près à ces armes qui auraient été enlevées.
C’est alors qu’ils l’embarquent encore une fois dans leur véhicule et prennent la direction du Camp GIPN d’Agoè-Logopé où, à son arrivée, il rejoint BOUKARI Gawilou pour un interrogatoire musclé qui commence encore par cette question : « Les armes sont où ? ».
A cette question KELIBA Amadou Kassimou répond à nouveau qu’il ne sait rien des armes dont il est question et ce sont des coups de bâtons et de cordelettes qui pleuvent sur lui.
Puis on lui demande s’il fait partie du Groupe Tigre-Révolution et s’il est sorti pour manifester contre les soldats dans la nuit du 22 au 23 novembre 2019.
Après avoir également répondu non à cette question en ajoutant ceci : « Je suis maçon, je me cherche, et j’ai une famille à nourrir pourquoi sortir dans la nuit du 22 au 23 novembre pour manifester contre les soldats…. J’ai une famille à nourrir ! »
Malgré sa sincérité, cette réponse met en fureur ses tortionnaires qui redoublent les coups contre lui et lui infligent à nouveau de sévères traitements cruels, inhumains et dégradants.
Le 10 décembre 2019, après 4 jours passés au Camp GIPN, il est conduit à la Direction de la police judiciaires (DPJ), où il est détenu pendant 2 jours, le tout sans jamais recevoir de visite de sa famille, ni avoir la possibilité de maintenir un minimum d’hygiène corporelle à savoir se brosser les dents ou se doucher. De plus, il ne mangeait qu’une seule fois par jour et, bien sûr, avec ses propres moyens.
Le 12 décembre 2019, au bout des 2 jours de détention à la DPJ, il est présenté d’abord au Procureur de la République avant d’être conduit chez le Doyen des juges d’instruction du Premier cabinet qui lui demande s’il reconnait les faits qui lui sont reprochés, ce qu’il refuse. Il décide alors de le placer sous mandat de dépôt à la Prison civile de Lomé ce même 12 décembre 2019.
6 mois après, il est transféré de la Prison civile de Lomé à l’ancienne Direction de la Gendarmerie nationale togolaise, en face de la BIDC et de la BOAD où, enfermé dans une mini villa avec 72 autres détenus qui vivent continuellement dans le noir, sans avoir de contact avec l’espace extérieur et sans voir le soleil au quotidien, ils ne sont autorisés à sortir dans la cour de la maison qu’en cas de maladie pour être conduits à l’infirmerie ou à l’Hôpital.
Et, c’est précisément dans ces déplorables conditions de détention qui aggravent l’état de santé de la plupart des prisonniers politiques qui ont subi les tortures et mauvais traitements au Camp GIPN d’Agoè-Logopé, que KELIBA Amadou Kassimou tombe malade, souffrant de malaises que lui-même n’arrive pas à décrire et de douleurs dans plusieurs parties du corps.
Le 3 octobre 2021, après que son état de santé se soit dangereusement aggravé, il est évacué de l’ancienne Direction de la Gendarmerie nationale au Cabanon du CHU Sylvanus OLYMPIO pour aller se faire soigner de façon plus appropriée en milieu médical.
Mais, il est détenu dans d’horribles conditions comme tous les autres prisonniers en traitement dans cette unité de soins.
Quoi de plus étonnant si, dans de telles conditions de détention, plus déplorables encore que celles dans lesquelles il a été emprisonné jusque-là, son état de santé ait continué à se dégrader et il n’a cessé de s’en plaindre, appelant constamment à l’aide sur sa situation alors qu’il se trouvait démuni de moyens pour acheter tous les médicaments nécessaires à sa guérison, sa famille, démunis de moyens, ayant des difficultés à l’aider à prendre en charge les frais nécessités par ses soins.
Bien que le Comité pour la libération de tous les prisonniers politiques du Togo ait pu en prendre charge une partie, presque tous les prisonniers politiques étant malades et nécessitant que quelque chose soit fait pour chacun d’entre eux, ceux-ci étaient insuffisants face à l’ampleur de ses besoins.
C’est pourquoi, lors d’une audience que le Bureau du Comité a pu obtenir auprès de la CNDH le mardi 26 octobre dernier, il a tout particulièrement insisté sur la question de l’état de santé en constante dégradation des détenus en exigeant, d’une part, que l’Etat qui les maintient arbitrairement en détention alors qu’ils sont innocents prenne en charge leurs frais de santé. D’autre part, qu’ils soient libérés surtout après que, dans l’« Affaire GOMA Abdul Aziz et ses 15 codétenus », la Chambre d’accusation de la Cour d’Appel de Lomé par Arrêt N° 158/2020 pris en date du 18 novembre 2020, ait « Enjoint au magistrat instructeur de diligenter une enquête parallèle sur les faits de tortures allégués par les inculpés lors de leur interrogatoire au fond ».
Une procédure qui aurait nécessairement eu pour conséquence de confirmer les allégations faites par les prisonniers politiques, les séquelles de tortures étant encore clairement visibles sur les corps de nombre d’entre eux et donc d’obtenir leur libération sans condition en vertu non seulement de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ratifiée en 1987 par l’Etat togolais mais bien d’autres textes encore dont le Nouveau Code de procédure pénale du Togo.
Or, depuis plus d’un an que cette décision a été prise, cette procédure n’est pas mise à exécution. Si elle prospère, elle aurait pour conséquence la libération automatique de l’écrasante majorité du restant des plus de 100 prisonniers politiques du Togo qui ont été gravement torturés au SCRIC ou au Camp GIPN d’Agoè-Logopé.
Tout en mettant en cause dans toutes ces dérives la responsabilité de l’instrumentalisation de la Justice togolaise que le Comité pour la libération de tous les prisonniers politiques du Togo n’a jamais cessé de dénoncer depuis sa constitution, force est de constater que c’est ce refus d’exécution d’une décision de justice par la Justice elle-même qui vient d’avoir pour tragique conséquence la mort en détention, sans jugement ni condamnation, d’un citoyen innocent : M. KELIBA Amadou Kassimou.
C’est pourquoi nous dénonçons le fait qu’après le récent décès de YAKOUBOU Abdoul-Moutawakilou, survenu 38 jours seulement après sa mise en liberté provisoire, le 26 août dernier, l’Etat togolais se refuse toujours à soigner et à prendre en charge les frais nécessaires à la guérison des innocents citoyens n’ayant commis aucun crime qu’il a fait arbitrairement arrêter et détenir comme prisonniers politiques dont les tortures et mauvaises conditions de détention infligées par ses forces de répression condamnent aux maladies mortelles. Va-t-il laisser les prisonniers politiques mourir l’un après l’autre en détention ?
Parce que sont toujours d’actualité les 8 revendications présentées dans son « MÉMORANDUM POUR L’ARRÊT DE LA PRÉOCCUPANTE VAGUE RÉPRESSIVE EN COURS D’ACCÉLÉRATION AU TOGO », le Comité tient à réitérer plus que jamais solennellement ici l’exigence de leur satisfaction immédiate et sans condition à commencer par la principale d’entre elle :
« Libération inconditionnelle et immédiate de tous les prisonniers politiques du Togo ! »